Les gestionnaires, ces laissés pour compte
Si vous faites une recherche sur Google avec santé psychologique au travail et gestionnaires, vous ne trouverez pas grand-chose.
Le gestionnaire est un peu l’enfant pauvre en matière de santé mentale au travail.
Ils doivent prévenir les risques et veiller sur la bonne santé mentale de ses employés, mais la sienne?
En effet, le milieu du travail ne se préoccupe pas suffisamment de leur stress. Pourtant, avant la pandémie, un gestionnaire sur cinq souffrait de détresse psychologique (1). Et pendant la pandémie, un tiers d’entre eux ont pensé quitter leur emploi, selon l’indice de santé mentale Morneau Sheppell (2).
Toujours selon ce même indice, en 2020 les gestionnaires vivaient une plus grande détresse mentale que les participants qui n’étaient pas des gestionnaires. Rien n’indique aujourd’hui que leur situation s’est améliorée depuis.
Examinons un peu leur situation
Ils doivent toujours faire plus et souvent avec moins de ressources.
Ils doivent se positionner sur de nombreux enjeux et être disponibles en tout temps.
Ils doivent rendre des comptes à la haute direction, mobiliser leur troupe, livrer des biens et des services dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, gérer des conflits, etc.
En santé mentale ils ont aussi de nouvelles tâches, on leur demande de lutter contre les tabous dans leurs équipes. Ils font face à de nouvelles réalités comme se préoccuper des risques psychosociaux.
Ils vivent aussi des difficultés de conciliation travail-famille. On empiète sur leur vie personnelle. Leur autonomie professionnelle n’est pas toujours respectée. Ils font face à des ordres contradictoires ou ambigües.
Ils vivent un double manque de reconnaissance (employés et patrons).
Pour la qualité de vie au travail, on repassera !
Pris en sandwich
Les gestionnaires d’aujourd’hui font face à des employés plus exigeants. Ces derniers n’acceptent plus les styles de gestion autoritaires, ils veulent prendre part à la discussion sur les changements et l’allocation des ressources dans l’entreprise, ils ne se laissent plus imposés des choses mal motivées.
De son côté, la haute direction demande constamment de faire plus avec moins (3).
À la fin de la journée, les gestionnaires sont pris en sandwich entre les demandes discordantes des employés et de la haute direction.
Les conséquences sur la santé
Selon Salima Hamouche, qui s’est penché sur le stress et l’environnement de travail des gestionnaires, 19,5 % des cadres ont déclaré souffrir de détresse psychologique et 20,5 % ont admis avoir une consommation d’alcool qui pourrait entraîner une dépendance (4).
La revue Avantage dans son édition du 21 février 2019 mentionne que: « Selon différentes études, de 20 à 49 % des gestionnaires souffrent de détresse élevée, soit une proportion plus élevée que dans la population générale. Ils sont en outre plus nombreux à rapporter des problèmes de sommeil et des troubles musculosquelettiques. Les gestionnaires se montrent aussi plus réticents à parler de leur santé mentale : 65 % d’entre eux avouent cacher leurs émotions » (5).
Selon un sondage Great -West de 2017, « 44 % des gestionnaires ont déclaré avoir souffert de dépression, comparativement à 37 % des employés. Le même sondage révèle également que les gestionnaires ne se sentent pas assez soutenus » (6).
Sans être devin, on peut dire que si les entreprises concernées ne se dotent pas d’un bon plan d’action sous peu, améliorer la santé mentale de leurs gestionnaires va rapidement devenir leur prochain sujet de préoccupation en santé et sécurité au travail.
Du côté des gestionnaires, s’ils ne prennent pas soin de leur niveau de stress au travail, ils devront composer avec de plus en plus d’atteintes à leur intégrité psychique.
Quelques mesures de protection
L’entreprise :
Doit cesser de voir le gestionnaire comme seul responsable de sa santé mentale. On doit casser cette culture machiste du gestionnaire sans faille, résilient et toujours en contrôle de ses émotions.
Doit identifier les facteurs de risques psychosociaux dans les milieux de travail des gestionnaires et leur donner de la formation sur la prévention des risques.
Doit passer des commandes réalistes et s’assurer que les gestionnaires ne soient pas constamment en surcharge de travail.
Doit mettre en place une politique de communication afin que les gestionnaires ne soient pas susceptibles de répondre en tout temps aux nombreuses demandes par courriels ou autres.
Doit s’assurer que ses gestionnaires jouissent de bonnes conditions de travail et d’une conciliation travail-famille.
Doit revoir l’organisation du travail pour leur faciliter le télétravail et s’assurer qu’il ne soit pas mal jugé lorsqu’ils l’utilisent.
Doit s’assurer que les gestionnaires obtiennent de la reconnaissance de la part de leurs patrons et aussi de leurs employés.
Les gestionnaires :
Doivent se responsabiliser sur leur propre santé mentale et détecter les situations à risque pour leur santé.
Doivent sortir de placard, et accepter de demander de l’aide lorsque la charge de travail est trop grande et lorsqu’ils sentent de l’épuisement.
Doivent se questionner sur leur style de leadership. Ont-ils emprunté un style passéiste et autoritaire avec lequel ils ne sont pas en accord? Si oui, ils s’exposent à des conflits de valeurs difficiles pour leur santé physique et psychologique.
Doivent protéger leur autonomie professionnelle et ne pas se laisser dicter des choses à contre-courant de leurs valeurs.
Doivent tenter d’éclaircir les ordres contradictoires ou ambigües qu’ils reçoivent de leurs supérieurs.
Devraient se retirer de la fonction dans certains cas lorsqu’ils font face à un environnement toxique où leur sécurité psychologique est menacée. Cela peut paraître radical, mais cela est beaucoup mieux que de finir avec une maladie mentale.
Je sais que c’est tout un programme, mais si les employeurs ne travaillent pas à améliorer la santé au travail, ils le paieront en productivité via une augmentation de l’absentéisme et du présentéisme.
Quant aux gestionnaires, leur bonne santé psychologique est en jeu. Le risque d’épuisement et de mal-être feront bientôt partie de leurs risques professionnels normaux. C’est dommage, on peut tellement faire mieux!
Amélie, ta coach
Sources:
(1) Organisme à but non lucratif, oeuvrant depuis 31 ans, Relief est un centre d’expertise national qui répond aux besoins de la collectivité en offrant différents services en santé mentale, notamment en soutenant les personnes vivant avec l’anxiété, la dépression ou la bipolarité. https://relief.ca
(3) https://www.lesaffaires.com/dossier/sante-au-travail/les-gestionnaires-sont-a-bout-de-souffle/630219
(4) Hamouche, S., et A. Marchand. « Les cadres et leur santé mentale au travail », mai 2017. [Communication présentée au 85e Congrès de l'Association francophone pour le savoir–Acfas, Montréal].
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